15 nov. 2006

Famille creuset des vocations ?

L’Esprit souffle où il veut. Si Il appelle à tout quitter pour l’Évangile, Il le fait où Il veut, comme Il veut. Une rencontre, une lecture, une épreuve, l’exemple d’un prêtre, une expérience d’Église ou de vie fraternelle, Dieu appelle chacun de manière unique. Jeune croyant, pratiquant régulier ou jeune loin de tout cela, Dieu appelle surtout qui Il veut, ses critères ne sont pas les nôtres.



Cependant, quand Dieu appelle - et Il appelle tout autant qu’avant - encore faut-il qu’Il soit entendu. Encore faut-il que l’idée de tout quitter pour Lui et les frères soit recevable pour le cœur appelé. Encore faut-il que les « catégories » selon lesquelles ce cœur (et cette intelligence) fonctionnent soient compatibles avec la radicalité d’un tel choix. Dieu appelle pour un avenir, celui qui doit répondre le fait à partir de ce qu'il est : un être façonné par son passé. On mesure le fruit et le poids de tout ce qui fût vécu en famille dans cette capacité à entendre un éventuel appel et à y répondre.

Il est dans la nature des choses que la famille, quand elle est chrétienne, soit le premier lieu de la transmission de la Foi, de l’apprentissage de la prière, de la première rencontre avec Christ. Messes dominicales, prière avec les parents, volonté des familles de mettre leurs enfants au contact avec d'autres et de faire grandir leur Foi au sein du « caté» puis de mouvements, rencontres et échanges avec les prêtres invités à la table familiale : autant d'expériences humaines qui nourrissent ce cœur qui un jour pourrait être appelé. De même, l'ouverture aux autres et au monde, l'accueil, soutien envers ceux qui en ont besoin, sens de l’autre et du don, engagement pour la cité et la justice, primat de l’être sur l’avoir autant de clés exigeantes qui ouvrent la voie à une réponse favorable quand l’appel sera reçu.

Mais alors si tout est si simple, si il suffit d'avoir des familles croyantes et ouvertes pour que les appels soient entendus et les réponses souvent positives, pourquoi les faits semblent-ils contredire le raisonnement ? Les familles chrétiennes existent, nos paroisses le montrent, rien ne permet de s’interroger sur la Foi dont elles vivent ou leur ouverture au monde, même si en la matière rien n’est jamais acquis ou parfait. Pourtant, nous savons ce qui l’en est des effectifs des séminaires et de la démographie presbytérale…

C’est à croire qu’un ingrédient essentiel n’est pas au rendez-vous : Un fils prêtre ou religieux ou fille au monastère : le voulons-nous, l’acceptons-nous ou le craignons-nous ? Selon les critères de ce monde est-ce « réussir dans la vie », on peut en douter ? Selon nos critères personnels qu’en est-il ? Le prêtre (pour ne parler que de lui, mais il en va de même pour le religieux, la religieuse) ne serait-il pas comme ces autoroutes dont tout le monde reconnais l'utilité, sans en vouloir à aucun prix dans son jardin ou sa commune … Prier pour les vocations est un grand bien, c’est d’ailleurs une demande explicite du Seigneur (les ouvriers et la moisson …), mais prier pour qu’un de nos enfants (ou petits enfants !), si il est appelé, réponde avec générosité à l’appel de Dieu et qu’il nous soit donné de l’accompagner selon ce que Dieu veut, voilà la même prière mais plus « incarnée », plus personnelle, plus exigeante …

L’image d’une vie « donnée », que l’on imagine difficile (mais quelle vie ne l’est pas ?), austère, l’absence de petits enfants rendent sans doute la perspective délicate. Mais, plus encore, ce qui fait obstacle en notre cœur à cette idée, n’est-ce pas notre difficulté à mesurer combien cette vocation, pour ceux qui y sont réellement appelés, peut-être un extraordinaire épanouissement humain et une mission sans pareille dans l’ordre de la Foi, un don précieux fait au monde,à l'Eglise et à nos communautés.



Ne nous le cachons pas, nous préférons les perspectives de vie et de carrières « mieux exposées », les études qui conduisent aux professions réputées, offrant les moyens d’une vie aisée. Rien d’anormal à cela, c'est vouloir le « meilleur » pour ses enfants ! Mais quel meilleur au fond si Dieu à un autre projet ? Lui seul ne sait-il pas ce qui est bon pour nous, nous convient et peut nous combleer ? Comment porter sur ces questions un regard de parents vraiment chrétien ? En quoi cela changerait-il nos vues si nous osions une conversion personnelle sur ces sujets ?

Comme il est dur d’aborder ces questions (et où les aborder ?). Elles touchent à l’intime de notre Foi au Christ, Lequel appelle à tout quitter mais promet le centuple dès cette vie, elles touchent au plus précieux, l’avenir de nos enfants, elles touchent à nos peurs, peur de l’avenir, peur de l’échec, peur de se donner. Nul doute, hélas, que ces peurs et ces doutes nous les transmettons aussi, bien involontairement, à nos enfants. Ils sont à l’œuvre lorsqu’à l’appel que Dieu chuchotte, il faut répondre. Parfois même ils répondent à la place de l'interessé ...

Accompagner un enfant qui s’interroge sur une vocation sacerdotale ou religieuse est une tâche qui exige délicatesse et engagement : comment être présent et actif sans porter atteinte à sa liberté ? Comment l’aider à enrichir sa réflexion sans l’enfermer ? Comment lui dire – malgré nos doutes éventuels – qu’il s’agit là d’une voie de bonheur si c’est bien cela à quoi il est destiné. Comment en parler à l’entourage proche – y compris chrétien – sans obérer l’avenir.

Autant de questions qu'il est difficile d'aborder seul. Pourtant au sein d’une famille chrétienne, qui vit sa Foi dans l’Église et la reçoit d’Elle, quoi de plus normal quand on y pense que de voir surgir ces questionnements? Pour aider nos familles à être davantage creusets des vocations dont le monde à besoin, nous avons un défi à relever, en famille, mais aussi dans l’Église, : parvenir à libérer la parole sur ces sujets, une parole qui se doit d’être délicate, simple, fraternelle et lucide. Une parole, d'abord intérieure, qu'il faut laisser travailler en nous.

article parue dans la revue "Regard" de novembre 2006
Hervé Balladur